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L'invention de la réalité


Sujet: ROSENHAN D. L., Etre sain dans un environnement malade, dans WATZLAWICK P., L'invention de la réalité, Paris, Seuil, 1981.

A propos des auteurs

- Paul WATZLAWICK, La réalité de la réalité: confession, désinformation, communication, 1976.

Prisonnier politique allemand, il s'évade et est recueilli par les britaniques. A la fin de la guerre, il est démobilisé en Italie et entre dans les services de police de la ville de Trieste (à proximité de la Slovénie).

- David L. ROSENHAN, « Etre sain dans un environnement malade », traite des aspects potentiellement oppresseurs de la psychiatrie. C'est un oppresseur de la psychiatrie.

Dans le domaine de la santé mentale, la critique de la science comme un pouvoir oppresseur s'est particulièrement cristallisé avec le courant de l'antipsychiatrie. Pour Michel Foucault, c'est la psychiatrie qui a commencé a changé sa façon de penser la notion de personne.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je vais d'abord préciser quelques points capitaux pour bien comprendre le contexte de cette étude. Tout d'abord, pour pouvoir comprendre les idées de Rosenhan, il faut définir la notion de personne ainsi que le courant de l'antipsychiatrie.


PLAN DU TRAVAIL

I. La notion de personne: c'est la clé qui ouvre la dimension éthique des possibilités techno-scientifiques.

I. 1. La conception ontologique: le principe d'identité et d'unité

 I. 2. La place à l'éthique: le concept de visage et de subjectivité pour E.Lévinas

II. L'antipsychiatrie

II. 1. Les origines de la théorie

II. 2. Les influences de la théorie

II. 3. Le contenu de la théorie antipsychiatrique

III. Résumé de l'histoire

III. 1. Explication de texte

III. 2. L'invention de la réalité

III. 3. Le point de vue constructiviste



I. La notion de personne: c'est la clé qui ouvre la dimension éthique des possibilités techno-scientifiques.

 

I. 1. La conception ontologique: le principe d'identité et d'unité

                   La définition ontique de la « personne » par Cicéron, nous montre l'individu tel qu'on le rencontre dans la vie de tous les jours, dans sa proximité et son indivisibilité. Pour lui, la « personne » a un rôle en justice, un rôle social, une réalité collective, une personnalité marquante. C'est une personne juridique par opposition aux choses, la personnalité ou le carractère concret d'un individu. C'est une notion philosophique de la « personne », la dépassant d'une manière strictement individuelle, ou bien en tant que douée de raison. La conception ontologique de la personne retient le principe d'identité et d'unité (à celui de la différencitation relationnelle) du Concile de Chalédoine, en 451 après J-C.

 

Au 6ème siècle, Boece définit la personne comme étant « la substance individuelle d'une nature raisonnable »; et au 13ème siècle, Thomas d'Acquin la définit comme étant « l'être en tant qu'il subsiste, trouvant en soi et non dans un autre que lui-même, l'appui de son existence », vers le concept moderne de conscience de soi. Les modernes sont contre la chosification et leurs définitions de la « personne » sont issues d'une recherche sur l'être. Descartes donne une définition de la notion de sujet où le sujet pensant s'assure de son existence personnelle et découvre la certitude au terme du doute méthodique. 

Pour Kant, la personne est un « sujet moral » où son autonomie est forgée par sa personnalité, qui assure sa dignité et le rend capable de se constituer législateur de sa propre loi, pour en faire son devoir. Quant à Hegel, il place la personne comme étant un « sujet relationnel », faisant l'adjonction avec le principe de différentiation relationnelle. Chez Fichte, il y a une dimension morale du couple « conflits-réconciliation ». Il met en valeur la notion de réciprocité et la notion d'intersubjectivité, qui appartiennent en propre à la personne, précédant le concept actuel « d'attitude » de Touraine. Le personnalisme de Mounier s'oppose à l'individualisme, l'existentialisme et le marxisme. Pour la compréhension de la « personne », il fait allusion à la corporéité, l'intériorité, l'affirmation de soi, la transcendance, la communication avec autrui, la liberté, la générosité et l'engagement. La personne est « capable de répondre aux interpellations des évènements ». C'est un être de réponses qui doit, en s'engageant, prendre ses responsabilités au sein d'une communauté de personnes. G. Marcel fait la distinction entre « individu » et « personne ». Pour lui, l'individu est un simple élément statique ou spécimen parmi une unité d'autres dont les opinions reflètent les idées reçues dans son milieu. C'est un « on » subissant et non-agissant.

Le propre de la personne, c'est non seulement d'envisager, d'apprécier, d'affronter, mais aussi d'assumer. C'est la véritable incarnation dans le réel. C'est l'affirmation d'une fraternité car c'est dans cette dimension statique que la personne apparaît dans toute sa dignité.

I. 2. La place à l'éthique: le concept de visage et de subjectivité pour E.Lévinas

               Avant de se penser « homme », raisonnant et engagé, ou altruiste, l'homme doit se développer une éthique. Il est un « sujet éthique » usurpant la place de la métaphysique et celle de l'ontologie. Le concept de subjectivité aux éléments neufs se déploie avec les traits d'unicité et de vulnérabilité. Il y a des relations entre le Moi et le visage et avec le tiers. Il n'y a pas de place pour l'individualisme.

              Le concept de visage est la transcendance de la personne, trop bien dissimulée dans ce mot rendu banal et impersonnel, par l'usage, et y trouve sa singularité et sa pleinitude. C'est la visibilité des individus, de leurs expériences dans la société politique, juridique et sociale. La personne est le masque d'emprunt de l'être. C'est le but et l'origine d'elle-même, où le moi est encore « chose », parce qu'il est encore « être ». La personne empirique est la singularité par excellence, le proche, le prochain.

Mounier, Marcel et Lévinas se sont attachés à circonscrire la notion de personne, en mettant en relief, l'ordre moral ou éthique qui commande son Agir.

                En 1990, Ricœur use de la philosophie herméneutique (c'est le triple biais du langage, de l'action et du récit) pour procéder à l'exploitation de l'homme parlant, agissant et souffrant, narrant et responsable. Pour lui, l' « ethos » est le souhait d'une vie accomplie, avec et pour autrui, dans des institutions justes: c'est la visée éthique. Il expose la philosophie de la personne en mettant en parallèle les actes du discours (locution, interlocution, langage) et l'ethos moral (estime de soi, sollicitude, institutions justes). En 1993, dans la revue Esprit, Ricœur dit « meurt le personnalisme, revient la personne ». Il insiste sur la connection entre « personne et communauté » et sur la séparation de « la pensée et l'action ». La personne se trouve dans une situation de crise surgissant d'un conflit de valeurs. Elle éprouve les limites de sa tolérance, s'identifie à une cause qui la dépasse et s'engage.

II. L'antipsychiatrie

II. 1. Les origines de la théorie

                   La théorie naît dans les années 60 avec l'union de praticiens anglais (Ronald Laing, David Cooper, Aaron Eterson) et italiens (Franco Basaglia, Giovani Gervis, Guian Franco Minguzzi) et des médecins hospitaliers du service public (Louis Le Guillant, Lucien Bonnafé, François Tosquelle).

                  Un psychiatre américain des années 50, Thomas Szasz, a publié des ouvrages critiques contre son institution d'appartenance. Ainsi il a joué un rôle déterminant dans l'élaboration des critiques des théories et pratiques psychiatriques émises par les antipsychiatres.

II. 2. Les influences de la théorie

                      La théorie antipsychiatrique a été influencé par les thérapies systémiques familiales, qui ne sont pas totalement affranchies de la terminologie de l'hygiène mentale. Elle aborde la « folie » sous l'angle de « victime émissaire », une sorte de « fou du roi » qui par sa conduite, dénonce les mythes familiaux en vigueur dans un système donné. Cette dénonciation serait désignée de « folie » et « stigmatisée ».

                   Les théories systémiques familiales sont des applications de l'approche systémique ou de l'analyse systémique à la thérapie familiale. L'approche systémique est une méthodologie à large spectre. C'est une expression de la systémique, qui n'est autre que la formalisation de la théorie systémique. Cette méthode scientifique est basée sur la logique du système.

                 Cette démarche permet de dépasser les limites cartésiennes, pour pouvoir aborder des sujets plus complexes grâce à une vision holistique. Cette vision étant une tendance de l'univers à construire des unités structurales de complexité croissante, mais formant chacune une totalité.

                La « victime émissaire » n'est pas à confondre avec le « bouc émissaire ». La « victime émissaire » est immolée pour pouvoir ramener la paix sociale après une crise de violences généralisées, issue du désir mimétique. Le désir mimétique d'un, selon René Girard, exploite un seul et même mécanisme. Les autres s'imitent et se haïssent. Cela engendre ou explique les phénomènes concernant l'homme (dans la psychologie, l'anthropologie ou la sociologie) et les aspects religieux ou culturels. Quant au « bouc émissaire », la victime est persécutée par une foule. C'est ce que l'on nomme une persécution collective.

II. 3. Le contenu de la théorie antipsychiatrique

                La théorie psychiatrique s'oppose à la psychiatrie classique et interprète la maladie mentale dans une perspective sociologique. La conviction centrale est que l'asile devrait disparaître et les malades devraient retrouver tous leurs droits de citoyens, dans une société qui pourrait les accueillir et prendre en compte leurs potentialités créatrices.

               Pour les peu convaincus par les théories psychiatriques, la psychiatrie est une institution non pas médicale, mais plutôt politique ou religieuse médicalisée, s'attachant à résoudre non pas les problèmes ou les maux des patients qu'elle traite, mais bien des problèmes posés à la collectivité par le comportement de ces patients, et ce au moyen de procédés coercitifs (internements, traitements, mensonges), contraires aux principes de l'Etat de droits.

              Pour les autres, le cheval de bataille de l'antipsychiatrie est la question de la « relativité du normal et du pathologique ». L'objet de antipsychiatrie est l'imitation de la dichotomie « sain/pathologique », instituant la notion de norme comme paradigme anatomique et sanitaire, plutôt que comme variable sociale, sociétale, philosophique et/ou politique, et consacrant la confiscation par les psychiatres, de problématiques politiques et sociales comme mesure de salubrité publique.

Maintenant que le contexte est posé, je vais pouvoir vous faire le résumé de l'histoire et développer les grandes idées du texte.

III. Résumé de l'histoire

              « Etre sain dans un environnement malade » est une recherche participative de terrain. Le texte raconte que Rosenhan envoya des faux patients se faire interner dans des hôpitaux psychiatriques. Le faux patient devait se présenter au bureau des admissions en se plaignant d'avoir entendu des voix. A la question de savoir ce qu'elles disaient exactement, il répondait qu'elles n'étaient pas claires, mais qu'elles semblaient dire des mots comme « vide », « creux » ou encore « étouffant ». Sur cette base, le faux patient était admis sous le diagnostique de « schizophrénie ».

               Une fois admis, le faux patient agissait normalement, en réagissant à toutes les situations d'enfermement de l'hôpital psychiatrique. Pourtant, une fois que l'on est admis dans ces établissements, tous les comportements étaient interprétés comme étant des symptômes de la schizophrénie. On leur avait par exemple demandé de prendre des notes, ce qui était interprété par un psychiatre (de passage à ce moment là) comme étant la preuve d'une fixation du patient au stade oral, alors que le faux patient expliquera par la suite à Rosenhan, qu'il attendait là car il ne devait rien faire d'autre.

Ce texte est la preuve qu'aucun établissement psychiatrique ne revient jamais sur les décisions prises pour leurs patients qui sont désignés comme schizophrènes. Les sujets « malades » ont la possibilité de retourner chez eux, sous le motif qu'ils sont des « schizophrènes en rémission ».

III. 1. Explication de texte

Avant de commencer l'explication du texte et surtout de la phrase « être sain dans un environnement malade », il faut d'abord expliquer quelques termes importants.

                 Le terme « schizophrénie » vient du grec « skihizein » « schizo » qui veut dire « fractionnement » et « phrèn » qui désigne « l'esprit ». C'est l'ensemble des affections psychiatriques présentant un noyau commun, mais très différents quant à leur présentation et leur évolution. On utilise le pluriel pour les désigner.

                   Il ne s'agit pas de « double-personnalité », mais ont par conséquence des altérations de la perception de la réalité. C'est le délire des toubles cognitifs (processus mentaux, allant de l'analyse perceptive de l'environnement à la commande motrice: mémorisation, raisonnement, émotions et langage. Il comprend aussi des processus à l'œuvre dans les systèmes artificiels comme les ordinateurs) et des disfonctionnements sociaux et comportementaux plus ou moins importants. L'auteur est très sévère avec les conditions de vie en asile et montre comment la psychiatrie a changé sa manière de penser la notion de personne. Dans ce texte, l'auteur fait une description de la logique du système.

                 Dans la structure des lieux se trouve une séparation entre le personnel soignant et les malades. Le personnel ne passe pas beaucoup de temps avec leurs patients. Par exemple lorsque le faux patient entre en contact avec un des personnels soignant, même avec une question neutre, ce dernier n'a pour lui qu'une brève réaction: il détourne la tête, continue à marcher ou ne lui répond pas. Cette attitude indifférente inscrit le patient dans un fort sentiment de dépersonnalisation, car il se voit traité comme un objet.

                 Les comportements du faux patient sont jugés à la lumière d'une pathologie dont il est la seule cause. Il est soumis à des règlements arbitraires et aléatoires car il n'a aucun contrôle sur le déroulement de sa vie quotidienne. Cette idée rejoint parfaitement celle de Goffman, lorsqu'il parle des pratiques hospitalières: dans le dépouillement des vêtements lors de l'admission, la promiscuité physique quotidienne, la « confession » de ses troubles et l'absence totale de vie privée. Ces pratiques de dépersonnalisation sont des « techniques » visant à détruire l'image que l'individu-patient avait de lui-même, et lui fait perdre le sentiment de liberté de sa vie.

« Les signes de l'indépendance est la marge de choix laissée à l'individu pour exprimer dans sa conduite, l'hostilité, l'affection ou l'indifférence. Cette autonomie est moins évidente quand elle s'accompagne d'obligations familiales. Elle l'est encore moins lorsque cette liberté de conduite est tenue pour révélatrice de l'équilibre mental de l'individu ».

                     L'individu interné se trouve dans une situation compliquée car il lui faut intégrer le fait qu'il est malade et qu'il en porte l'entière responsabilité, puisque ce ne sont pas les circonstances de ces relations au monde qui ont déclanché ses problèmes, mais quelque chose d'intrinsèque à lui-même.

                     En réalité, ce n'est pas lui qui est malade, mais quelque chose de purement physiologique, qui le dépasse de toutes parts et le commande. Il doit donc accepter cette « fatalité » qui plane sur lui. « Je » suis malade. Ce double « je » dépersonnalisant et culpabilisant, est une des causes essentielles des troubles créés à l'hôpital psychiatrique.

                    Ce texte a pour objet de montrer la pratique psychiatrique qui considère l'enfermement comme une des voies possibles de guérison. L'asile a une double vocation: elle perment d'éloigner les gens de la société et de les soigner. Elle a une vocation thérapeutique, car c'est le vernis humanitaire qui justifie l'enfermement des êtres devenus indésirables. Rosenhan nous montre les conséquences de l'environnement psychiatrique sur les patients, à savoir l'impuissance, la dépersonnalisation, la ségrégation, la mortification et l'auto-dépréciation, qui contredisent toutes perspectives thérapeutiques. La maladie est purement individuelle car toute maladie naît d'une relation à un environnement donné. Ce que fait l'hôpital psychiatrique pour guérir les effets de cette relation au monde est une substitution. Il opère une rupture totale avec l'ancien monde du patient et le met au milieu d'un nouveau monde, froid, inconnu et violent. Il n'est pas rare qu'à la sortie de l'hôpital, le patient renouvelle le même type de relation au monde hospitalier et retombe malade.

                      L'élément à retenir de cette expérience est qu'à aucun moment, le personnel médical et professionnel des établissements n'a pu découvrir les faux patients, qui ont poussé l'audace de prendre des notes aux yeux de tous. Les seuls qui ont réellement montrer des soupçons étaient les patients. Cette expérience montre bien que si l'on donne du crédit au propos des personnes ayant des problèmes de santé mentale, on s'approcherait plus de leur réalité. Les seules craintes étant des paroles infondées ou des incohérences dans les discours.

Maintenant, on va pouvoir revenir sur le livre de P. Watzlawick d'où est tiré cette étude comportementale de Rosenhan.

III. 2. L'invention de la réalité

                Pour Watzlawick, une question semble être primordiale: « comment savons-nous ce que nous croyons savoir ? » Cette question est posée au tout début de son ouvrage intitulé « L'invention de la réalité ». C'est une œuvre riche de contributions d'auteurs traitant la philosophie constructiviste. La question renvoie à trois concepts: ce que nous savons, comment nous le savons et ce que nous croyons savoir.

                   Ce que nous savons est le résultat de la perception, de l'investigation et de la compréhension du monde que nous expérimentons, grâce à notre système sensoriel. Le système corporel nous permet de percevoir le réel comme étant le même pour tous.

                     Comment nous le savons ...hé bien, l'esprit doit sortir de lui-même afin de pouvoir s'observer en train d'observer. Il ne se trouve plus face à des faits existant indépendemment de lui, dans le monde extérieur, mais face à des processus mentaux. Notre conception de la réalité n'est plus une image vraie de ce qui se trouve à l'extérieur de nous-même. Elle est nécessairement déterminée par les processus qui nous ont conduit à cette conception.

                  Ce que nous croyons savoir est un thème utilisé par les philosophes pré-socratiques. C'est la conscience croissante que cette prétendue réalité est au sens immédiat et concret, la construction de ceux qui croient l'avoir découverte et étudiée.

                 Autrement dit, ce que nous supposons « découvert » est en fait une invention, mais l'inventeur n'est pas conscient de son acte d'invention. Il la considère comme existant indépendemment de lui. L'invention devient alors la base de sa conception du monde et de ses actions.

Il existe deux manières d'envisager le réel.

                 Nous concevons le réel comme existant indépendemment de nous et extérieur à nous. Ce réel est le même pour tous et l'expérience que nous en faisons est tributaire de notre système sensoriel. Il doit être quasiment identique d'une personne à l'autre. Nous considérons le réel comme pré-existant à nous, indépendant de nous. Nous le plaçons de « facto » dans le contexte d'une observation extérieure, indépendant de ce qu'il observe. Il n'y a qu'une vérité pour tous et ceux qui ne la ressentent pas comme tel, sont « anormaux », « malades ».

              La pédagogie conciste à « faire entrer le monde dans le même moule ». Le réel est comme totalement ou partiellement créé ou modifié de manière implicite (à notre insu) par des filtres personnels (modèles implicites). Chacun peut, sans être considéré comme « anormal », le « percevoir » de manière différente. La perception que nous avons du système peut varier selon la représentation et les modèles implicites ou explicites que nous avons forgé. La pédagogie conciste à prendre la perception et la comparer à différents modèles, nous permettant d'accèder à l'étude de différentes structures.

Le constructiviste dira « nous construisons le monde alors que nous croyons le percevoir ». Et justement, voyons un peu le point de vue constructiviste avant de conclure cette étude.

III. 3. Le point de vue constructiviste

« On ne peut pas connaître la réalité indépendante de nous »

                   Sur cette base, chez les constructivistes, on ne peut pas parler de réalité objective car il n'y a pas de vérité en soi. Chacun construit ce qu'il nomme « la réalité », sans avoir conscience qu'il s'agit d'une construction. Ils distinguent, la réalité de premier ordre (ce que nous percevons) de la réalité de second ordre (le sens que nous attribuons à ce que nous percevons, la valeur que nous donnons à ces perceptions).

                 Il n'y a pas de construction de la réalité juste ou fausse, meilleure ou mauvaise, mais il y a simplement des constructions qui marchent et d'autres qui ne marchent pas, selon les objectifs que l'on se fixe. Ce qui importe pour vivre et réaliser nos objectifs, c'est que nos connaissances conviennent à la réalité et non pas qu'elles lui correspondent.

                  En 1954, Bateson obtient un financement pour deux ans de la part de la Fondation MACY, pour l'étude de la communication chez les schizophrènes. Le groupe d'étude est rejoint par le psychiatre Donald Jakson. En 1956, les membres du projet publient un article commun « Vers une théorie de la schizophrénie », qui introduit la notion de double-contrainte. Bateson écrit en 1975 « Perceval le fou. Autobiographie d'un schizophrène », Payot, Bibliothèque Scientifique.

La fondation MACY ou La Josiah Macy, Jr. Fondation, est un organisme américain d'aide dans le domaine de la Santé et de l'Education. Les conférences MACY ont joué un rôle majeur dans l'élaboration de la cybernétique. La cybernétique étant formalisée en 1947 par le mathématicien Norbert Wiener, pour désigner « la science des analyses maîtrisées entre organismes et machines ». Aujourd'hui, on définit la cybernétique comme étant « la science générale de la régulation et des communications dans les systèmes naturels et artificiels ».

L'hypothèse de la double-contrainte est appliquée à la schizophrénie. Elle fut la source d'inspiration de la « thérapie familiale ». Cette « double-contrainte » est une traductuion propre au français de la notion de « double bind » ou « double lien », développé par Bateson, Jakson, Haley et Weakland, en 1956. Elle est utilisée par la suite de manière différente par plusieurs autres auteurs.

L'ambition de clarifier cette notion de double contrainte suppose de bien distinguer cette appellation du phénomène qu'elle désigne. Elle découle de notion mise en évidence par les théories de la communication et par la cybernétique. C'est une notion centrale de la théorie systémique.

La double contrainte est une expression représentative de deux contraintes qui s'opposent, assortie d'une troisième qui empêche toute sortie. Sans cette troisième contrainte, ce ne serait qu'un simple dilemme, avec une indécidabilité plus ou moins grande suivant l'intensité des attracteurs.

Pour exercer une double contrainte, il faut deux ordres (ou injonctions déterminantes) pour l'existence physique et psychique du sujet. Ces deux injonctions sont imcompatibles et impossibles à satisfaire simultanément. Il faut rajouter une 3ème qui exige le choix dans une situation de choix impossible et interdit tout refus et tous commentaires sur l'absurdité de la situation. Ici l'effet de la communication est la pragmatique (ou relation entre les signes et leurs effets). C'est l'une des trois voies pratiques de la communication avec la sémantique (relation des sons ou des signifiants et des sens) et la syntagmatique (relation des signes entre eux).

L'approche scientifique de la double contrainte est un caractère de la rigidité. C'est le résultat de la mise en relation volontaire ou fortuite (par une liaison-mécanique, une analyse dialectique, une attitude de communication) de deux éléments déjà liés à une troisième (pièce mécanique, point de vue implicite ou explicite) par deux autres relations.

La double contrainte en communication est une paire d'injonctions paradoxales coexistant en une paire d'ordres explicites ou implicites intimée à quelqu'un qui ne peut satisfaire l'un sans violer l'autre.

L'antipsychiatrie de Lain et Cooper utilise la notion de « knot » ou « nœud » qui évoque bien la situation d'enfermement. Le troisième ordre interdit le refus de l'obéissance et tout commentaire sur l'absurdité de cette situation d'ordre et de contre ordre dans l'unité de temps et de lieu. Cette interdiction se rapporte à une mise en séquence temporelle de l'exécution de l'un apres l'autre. C'est la communication et le rôle des paradoxes dans la genèse de la maladie mentale.

A ce stade de l'étude, nous pouvons consacrer un petit moment à Watzlawick et à l'Ecole de Palo-Alto.

L'Ecole de Palo-Alto est un courant de pensée et de recherche, ayant pris le nom de la ville de Palo Alto, en Californie, à partir de 1950. On le cite en psychologie et en psycho-sociologie, ainsi qu'en science de l'information et de la communication. Ce courant est à l'origine du mouvement de la thérapie familiale et de la thérapie brève.

La thérapie Palo-Alto est une thérapie individuelle, de couple, du trouble du comportement, des toc's, des phobies, de l'anorexie, de la négociation familiale, de la problématique scolaire, du coaching, de la supervision, de la thérapie sous contrainte.

La thérapie brève est traditionnelle, comme l'hypnose, les techniques d'entretien, l'intervention en milieu familiale et scolaire ou coaching.

L'épistémologie constructiviste devient progressivement un des fondements de l'approche Palo-Alto, comme en témoigne la publication en 1981, de « L'invention de la réalité. Contributions au constructivisme » sous la direction de Watzlawick, qui comprend les contributions de Foerster et Glaserfeld.

L'Ecole Palo-Alto se voit être influencée par la cybernétique. Ainsi le thérapeute ne considère plus son patient comme un individu isolé sur lequel il devrait poser un diagnostic psychiatrique, mais s'intéresse aux interactions actuelles du patient avec son environnement qui maintien son problème. Le thérapeute se demande comment les nouvelles structures (ou morphogénèses) évoluent loin de leur point d'équilibre et créent de nouvelles possibilités de changement que recelle la situation de crise (telles les structures dissipatives de Ilya Prigogine (chimiste belge d'origine russe, a écrit: « De l'être au devoir » (1980); « Les lois du chaos » (1993); « L'homme devant l'incertain » (2001)).

Dans l'épistémologie constructiviste, la théorie des contextes est une révolte contre le simplicisme réducteur (ou réductionnisme) et dénonce l'applatissement des niveaux complexes au niveau le plus simple. Bateson, dans son ouvrage intitulé « Réductionnisme. La nature et la pensée », Seuil, Paris, 1984, dit ceci: « il faut prendre en compte les données communes. Tout savant doit fournir l'explication la plus simple possible, la plus économique et (généralement) la plus élégante possible. Mais le réductionnisme devient un défaut si l'on accorde une importance excessive au principe que l'explication la plus simple est la seule possible. Il arrive qu'on doive envisager les données dans un Gestalt plus grande » (p. 235).

Le simplicisme (ou simplicisation abusive) procède d'une similitude inappropriée autre que les phénomènes de la realité physique des objets et ceux de la réalité imaginaire des sujets qui confèrent significations et valeurs aux objets de la réalité physique. Le simplicisme réduit le monde des sujets à celui des objets, le monde du pensant à celui de la matière-énergie.

Cette théorie des contextes est à la fois une métaphore du déplacement et un métonyme de la condensation de l'approche écosystémique qui est seulement une méthodologie d'un modèle écosystémique. Cette théorie est une critique de l'épistémologie des sociétés occidentales, où la communication et l'échange sont contrôlés par le pouvoir que détient une partie de l'écosystème biosocial de définir certaines autres parties comme un « environnement » à exploiter: le corps et l'esprit.

Dans la relation « paradigme - théorie - modèle », la théorie des contextes se déploie en modèles écopolitiques dont l'antipsychiatrie est un exemple en psychologie, ainsi que des mouvements féministes et antiracistes. La relativité du normal et du pathologique révèle ce pouvoir de désigner l'un et l'autre. C'est une perspective critique et un produit transdisciplinaire, une véritable somme de l'écosystémique que l'on peut considérer comme un outil épistémologique fondamental, avec une axiomatique (ou corps d'axiomes, dans le pari de « survivre au 20ème siècle » selon l'expression d'Edgar Morin).

En tant qu'aspect de la communication, un comportement ne devient significatif et signifiant que dans un contexte, de telle manière que Ray Birdwhistell a proposé de déplacer «  l'analyse de contenu » à une « analyse de contexte ». Cela revient à dire que l'analyse porte non sur le contenu de l'échange, de la relation ou de l'interaction, mais sur le « système » qui a rendu l'échange possible.

La communication et le comportement s'expriment en termes systémiques et cybernétiques à travers les principes de leur épistémologie et l'utilisation de la linguistique descriptive. Dès lors, un geste, un mot et tout comportement sont envisagés non en eux-même, mais dans leur relation avec d'autres gestes, d'autres mots et d'autres comportements. Il n'est plus possible d'envisager l'individu et ses actes (comme dans les behaviorismes et les psychanalyses) sans les insérer dans un contexte polyadique.

En conclusion, on peut dire que...

En communication et en sociologie, le contexte est un des facteurs qui influencent la communication. Il existe deux contextes de la communication: celui appréhendé par le linguiste Roman Jakobson, concernant les aspects de la communication verbale (ou langage) et celui du sociologue Gerbner, qui a développé des modèles qui tiennent compte du contexte (ou perception de l'environnement). Cette perception de l'environnement est considérée comme une entreprise. C'est un processus qui permet d'acquérir une bonne compréhension du contexte, à la fois locale, mondiale et anticipatrice (aux signaux faibles). C'est l'un des 11 facteurs d'intelligence économique.

L'équipe du Mental Research Institute (MRI) de Palo-Alto, prolonge les travaux de Bateson en développant un « paradigme de psychothérapeutique ». C'est une méthode de résolution des problèmes psychologiques basées sur une conception interactionnelle du comportement et l'utilisation de techniques spécifiques (souvent paradoxales) de changement.

Watzlawick nous dit que « nous faisons nous-même notre malheur », en nous efforçant de reproduire des solutions qui se sont avérées efficaces par le passé, alors que notre contexte de vie s'est modifié. Le travail du thérapeute consiste à amener ses patients à renoncer à leurs « essais de solutions » infructueux. Il peut y parvenir en modifiant leur vision du problème (ou recadrage) ou par le biais d'expériences nouvelles souvent induites par des recommandations paradoxales du thérapeute (ou injonctions comportementales).

Il met en doute le rôle de la prise de conscience et l'analyse dans le processus de changement. C'est en se comportant différement que les patients dépassent leurs difficultés. Il propose une solution plus souple à notre quête de cohérence intellectuelle.

Les théories ne sont que des constructions mentales, des « modèles » qu'il ne faut pas prendre pour le phénomène modélisé: nous constuisons notre réalité. C'est probablement là, le message essentiel des théories « constructivistes » que Watzlawick a contribué à diffuser, tant dans les milieux scientifiques que dans le grand public.


Shatia ANDRIAMANAMPISOA

 

 

 

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