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Mémoires et malmémoire

                Comme vous le savez tous, je travaille actuellement sur « la mémoire collective » et pour bien comprendre ce sujet, je dois aller au-delà des compréhensions ou définitions globales et voir les limites de ce thème d'étude. La question est de savoir s'il y a une limite à la mémoire, et si c'est le cas, peut-on dire que ce sont des « mauvaises mémoires ».

Donc pour pouvoir répondre à ces questions, j'ai axé ma recherche sur la mémoire défaillante et la mauvaise mémoire. Je suis tombée sur « Les « oublis » de l'histoire officielle », qui présentaient un auteur « Eduardo Galeano » et qui a travaillé sur le thème des « mémoires et malmémoires ».

Je vais donc vous présenter cet auteur, son travail et ce qui fait lien avec ma recherche et si possible avec les problématiques de la question sociale.

LES "OUBLIS" DE L'HISTOIRE OFFICIELLE

Mémoires et malmémoires

Le travail de Galeano commence par la citation suivante...

« On peut brûler, mutiler, abrutir, expurger les traces du passé. Mais la mémoire, lorsqu'elle reste vivante, incite à continuer l'histoire plutôt qu'à la contempler. »

Par « les traces du passé », il entend « monuments aux morts, patrimoine,... »... et la « mémoire » est une conscience qui est en nous et qui nous pousse à aller plus loin dans notre recherche sur la vérité, sur la vraie mémoire, la vraie histoire. C'est une quête constante de ce qui est vraiment nous, ce qui nous appartient en terme d'héritage.

Avant de commencer, je vais d'abord vous présenter l'auteur (sa vie, ses appartenances, ses œuvres), parce que je pars de ses définitions sur les mémoires pour pouvoir comprendre les « oublis » et non les « oubliés » de l'histoire officielle, qui pourtant s'inscrivent dans notre vécu social, notre histoire individuelle ou collective. Puis, je vais vous parler de la « construction de la mémoire » et pour finir de la « libération de la mémoire ».

 


                Eduardo Galeano

Eduardo Hugues Galeano est né à Montevideo, en Uruguay, il y a une soixantaine d'année. Il a fondé et dirigé plusieurs journaux et revues en Amérique latine. C'est un écrivain et journaliste uruguayen. En 1973, il s'est exilé en Argentine avant de rejouindre l'Espagne en 1976. Il est retourné vivre en Uruguay en 1985.

Il a participé à des forums sociaux mondiaux altermondialistes entre 2001 et 2005. Il fait partie des 19 personnalités qui ont proposé et signé le manifeste de Porto Alegre (proposition pour un changement de société. Ecrit au Forum Social Mondial de 2005, il est sous titré « 12 propositions pour un autre monde possible ». Le manifeste présente un socle minimal d'idées sur lesquels se sont entendus les signataires concernant les mouvements de l'altermondialisme)

Outre ses œuvres journalistiques, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs ont été publiées en français. Je n'ai sélectionné que les ouvrages qui ont eu une traduction française pour ceux qui s'y intéressent.

   


 

 

             Ses œuvres

1971: Las venas abiertas de America latina (les veines ouvertes de l'Amérique latine, Plon, 1999)

1975: La cancion de nos otros (la chanson que nous chantons, Albin Michel, 1977)

1978: Dias y noches de amor y de guerra (jours et nuits d'amour et de guerre)

La trilogie « Mémoire du feu » (Plon, 1985 à 1988)

1982: Memorias del fuego: los nacimientos ( mémoires de feu, les naissances – Tome 1)

1984: Memorias del fuego: las caras y las mascaras

(mémoires de feu, les visages et les masques – Tome 2)

1986: Memorias del fuego: el siglo del viento

( mémoires de feu, le siècle du vent – Tome 3)

1995: El futbol a sol y sombra (le football, ombre et lumière, Climats, 1998)

1998: Patas arriba. La escuela del mundo al reves

(sens dessus dessous: l'école du monde à l'envers)

 


I. La construction de la mémoire

 

Galeano veut mettre à jour, le problème de la perception de la réalité, disant que sa seule fonction est de mettre à jour une réalité masquée, de parler de ce que nous voyons et de ce qui reste caché. C'est la réalité de la veille, c'est une réalité contrefaite, parfois menteuse, mais aussi pleine de vérités méconnues ou rarement écoutées » . Cet état de fait ne nous permet pas d'acquérir une « bonne mémoire », mais plutôt une mémoire identique aux fresques de Gaudi, en multiples petites mosaïques de plusieurs origines, car le créateur recyclait tout (morceaux d'assiettes, bouteilles, tasses, faïences,...).

 

Pour retrouver ces fresques splendides, on peut aller dans le quartier de « l'eixample » ou « agrandissement » à Barcelone. Et y découvrir le Palais de la Musique Catalane, construit par Lluis Domenèch et Montaner en 1908. Où tout simplement passer par le Parc Guëll, commencé en 1900 et achevé en 1914, qui est une véritable ville-jardin.

 

Partant de cette image, la renaissance advient par éliminations. Celui qui raconte, qui écoute ou qui lit, tout ce qui revient, revient à l'esprit dans de nouvelles formes. A la fin, on obtient une sorte de mosaïque où chaque histoire n'est autre que la synthèse polychrome d'autres histoires. De même, le costume d'Arlequin était au début de couleur blanche. Les pièces qui le composent seraient apparues plus tard. Il recueille ainsi les signes de tous les corps éfleurés par le masque au cours de sa vie. C'est une temporalité historique linéaire. Le résultat final étant l'habit que nous connaissons.

 

En prennant exemple sur le problème de l'Amérique latine, Galeano constate que pour pouvoir changer la réalité, il faudra d'abord l'assumer. Il dit « nous sommes aveugles de nous-mêmes parce que nous sommes entraînés à nous voir avec des yeux qui ne sont pas les notres. C'est pour cela que le miroir nous renvoie une tache opaque et rien d'autre ».

 

Il faut avant tout savoir écouter avant de voir. Même le silence vaut la peine d'être écouté. Mais comment l'écouter ? Non pas avec nos oreilles, mais avec nos sens, car le silence est un langage très riche et articulé. Et quand le silence parle, la parole ne peut résonné (on parle de « résonnance » et non de « raisonnement »). Le silence se charge de toutes les paroles. Nous nous devons, pour pouvoir comprendre ce qui est dit, les interpréter selon la charge de signifiants et de significations qu'il englobe. Nous pouvons aussi prendre pour appui le contexte d'énonciation de cette parole.

 

C'est le cas de la mémoire « mutilée », qui est une mémoire du pouvoir qui ne se souvient pas. Elle absout. C'est la mémoire de quelque-uns qui devient la mémoire de tous. Ce qui veut dire qu'elle n'écoute que les voix de ceux qui reprennent l'abrutissante litanie de sa propre sacralisation. «  Ceux qui n'ont pas de voix » possèdent la voix la plus puissante. Ils sont condamnés par le silence et donnent parfois le sentiment de s'y être habitués.

 

L'auteur précise que les tares tels que l'élitisme, le racisme, le machinisme et le militarisme nous empêchent d'être et nous interdisent de nous souvenir. Ainsi nous dit Galeano, « on nanifie la mémoire collective, en l'amputant de ce qu'elle a de meilleur, et on l'exploite au profit des cérémonies d'auto-éloges des tyrans de ce monde ». Pour pouvoir affirmer cette idée, l'auteur se base sur un proverbe africain « Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur » .

 


II. Pour une libération de la mémoire

 

Pour les pays ou les peuples qui ont une mémoire blessée, meurtrie, la libération de la mémoire permet de s'extirper de la peine de l'amnésie à perpétuité. Tous partagent l'espoir qu'il y aura un souvenir et une justice, parce que l'histoire enseigne que la mémoire peut survivre obstinément à toutes les prisons et enseigne que la justice est plus forte que la peur, quand on l'aide. C'est la dignité de la mémoire et la mémoire de la dignité que l'on prend comme référence ici.

 

Une des souffrances du monde est le discrédit de la dignité. La question est d'identifier l'indigne. D'après Galeano, c'est celui qui, d'une manière générale, commande ou dirige. Il traite ceux qui l'entoure comme étant des « enragés », des hommes préhistoriques, nostalgiques ou romantiques et qui dénient la réalité. On rencontre le même cas dans les entreprises où la politique est toujours d'avoir un rendement optimal et un coût de production minimal, sans forcément prendre en compte les limites des producteurs de rendements. D'où les grèves et les luttes ouvrières.

 

C'est un constant jeux de rôle qui se met en place. C'est à travers leur manière de jouer et leurs diverses personnalités (leurs réactions personnelles, leurs habitudes, leur façon d'interpréter leur vécu et leurs « motivations ») que se dévoile « le jeu », qui donne lieu à l'analyse collective. Elle est fondée sur les réactions et les commentaires subjectifs des « spectateurs » qui font apparaître les différents « cadrages » possibles.

 

Lorsque l'individu souffre de rigidités et qu'il veut trouver des formes d'adaptation à des situations nouvelles, il est prêt à remettre en cause certaines de ses attitudes et conduites. Il s'incrit alors dans une sorte de « jeu rituel » où le meneur de jeu repère le rôle rituel du protagoniste. C'est ce rôle qui crée son problème. C'est l'analyse des jeux de rôle et du psychodrame que fait Moreno, allié à l'analyse des systèmes d'interactions et des techniques de recadrage de Watzlawick , dans leur ouvrage sur la « Psychologie sociale ».

 

Cette analyse des « interactions » est un point important pour la compréhension de mon sujet d'étude sur la « mémoire colllective » car il me permet de comprendre les liens et les relations qui entrent en jeu lorsque les individus se rencontrent, se disputent et se ralient. C'est vraiment pour savoir comment le mouvement des étudiants, pacifique au départ, a pu s'envenimer et devenir une guerre civile.

 

A propos de cela, justement, je vous renvoie aux études du CREDHESS, c'est le Centre de Recherche et d'Etudes en Droit, Histoire, Economie et Sociologie du Social, qui traite des « Rémanences des passés » (octobre 2006, n°22 de la revue Sociétés & Représentations, article écrit par Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky). C'est un numéro consacré aux appropriations du passé dans les sociétés très contemporaines, des années 60 à nos jours. Ils abordent la question au prisme d'expériences étrangères, européennes, américaines, indiennes et africaines. Leur approche historienne s'enrichie des concours de l'anthropologie, de la géographie et de la philosophie. Elle est étayée par le point de vue des professionnels de l'image et des médias.

 

J'ai trouvé deux définitions du mot « rémanence », qui m'ont permis de comprendre cet article.

 

Le mot « rémanence » est un mot féminin qui désigne en physique, un temps mis part un point départ pour passer de l'état allumé à l'état totalement éteint. Et inversement, mais c'est surtout dans le premier cas qu'on s'en rend compte. C'est aussi un effet persistant a posteriori, dans sa définition dans l'encyclopédie du marketing. En effet, la rémanence désigne notamment le but recherché par les messages publicitaires, dans l'espoir que les réactions et les sensations qu'ils ont pu générer au moment de l'exposition, demeurent le plus longtemps possible actives dans l'esprit du consommateur.

 

La rémanence induit la notion de « persistance d'actions », durant laquelle un objet produit des effets perceptibles. C'est la durée pendant laquelle le produit reste actif qui compte.

 

Ils font l'analyse des luttes mémorielles traitant des rapports, des heurts et des traumatismes, entre les mémoires, l'histoire et les pouvoirs. Les appropriations du passé procèdent donc de conduites de légitimation dont les enjeux renvoient à des formes et des modalités de la domination.

 

C'est le cas de la « mémoire brisée », telle qu'elle est définie chez Galeano. Elle fait référence à notre société de consommation, où la culture de la consommation, qui nous pousse à l'achat, condamne tout ce qu'elle vend à l'obsolescence immédiate. Les choses vieillissent en un clin d'œil, pour être remplacées par d'autres tout aussi éphémères. Le shopping center est un excellent symbole qui domine notre époque.

 

Chez Galeano, c'est ce qu'il appelle la « mémoire tenace ». Il n'y a pas d'histoire muette car « on a beau brûler, on a beau briser, on a beau la tromper, la mémoire humaine refuse d'être bâillonnée. Le temps passé continue de battre, vivant, dans les veines du temps présent, même si le temps présent en le veut pas ou ne le sait pas ». C'est donc une mémoire perdue qui permet la célébration du symbole le plus révélateur de la dignité nationale.

 

Lorsque l'on parle de dignité nationale, on touche aussi à la notion de « justice sociale ».

 

Cette forme de mémoire n'est pas sans lien avec la « mauvaise mémoire ». L'amnésie selon le pouvoir est saine. Selon Galeano, non seulement les mères de ses victimes étaient et restent folles, mais ses propres instruments, « les bourreaux, sont eux-aussi fous, lorsqu'ils ne parviennent plus à dormir à poings fermés, avec pour seule gêne les moustiques l'été ». Il rajoute « rare sont les gens qui naissent dotés de cette conscience, et qui sécrètent le remords ».

 

Pour illustrer ces propos, Galeano nous raconte qu'en 1989, en Uruguay, un référendum fut organisé contre l'impunité. La plupart des gens sont tombés dans le piège de la propagande officielle qui semait la panique en bombardant l'opinion publique de menaces. Lavage de mémoire, lavage de cerveau: si de la violence, l'histoire se répétait. L'oubli était le prix de la paix.

 

Or, l'expérience démontre le contraire. Pour que l'histoire ne se répète pas, il faut sans cesse le remémorer, l'impunité qui récompense le délit, encourage le délinquant. L'impunité du pouvoir, est la fille de la malmémoire. C'est une des maîtresses de l'école du crime. Ce constat par d'une citation de Raymond Gomez de la Sema « Il y avait une si mauvaise mémoire qu'il finit par oublier qu'il avait une mauvaise mémoire, et se souvint de tout ».

 


En plus !

 

Les 12 propositions pour un autre monde possible

 

Le manifeste souligne que les signataires ne se font « aucune illusion sur la volonté réelle des gouvernements et des institutions internationales de mettre en œuvre spontanément ces propositions », et préconise leur mise en œuvre par les acteurs et les mouvements sociaux de tous les pays.

1. Annuler la dette publique

2. Mettre en place des taxes internationales sur les transactions financières

3. Démanteler progressivement toutes les formes de paradis fiscaux

4. Faire du droit à l'emploi une priorité

5. Lutter contre toutes formes de discrimination

6. Prendre des mesures urgentes pour mettre fin au saccage de l’environnement

7. Promouvoir les formes de commerce équitable

8. Garantir le droit à la souveraineté alimentaire

9. Interdire toute forme de brevetage des connaissances et du vivant

10. Garantir le droit à l’information

11. Exiger le démantèlement des bases militaires

12. Réformer et démocratiser en profondeur les organisations internationales

 


 

Shatia  ANDRIAMANAMPISOA

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